Martin Boonen
08 June 2023
Depuis 2015, année ou Matthias Van Eenoo ouvre dans une belle maison bourgeoise du quartier Brugmann le restaurant du même nom, l’établissement luxueux est devenu une vraie institution. En huit ans, le chef semble avoir trouvé l’écrin idéal pour y développer sa cuisine inspirée de la grande tradition française mais modernisée et mâtinée de touches asiatiques. Nous le verrons plus tard.
Le chef Mathias Van Eenoo, avec son diplôme de Maîtres Cuisiniers de France © DR
Pour l’heure nous entrons dans l’impressionnant décor du Brugmann. Lumineuse, la salle met en valeur les matériaux flatteurs, comme ses fauteuils et banquettes tendus de velours épais. Les œuvres d’art sur les murs et les nappes blanches sur les tables donnent le ton : nous sommes ici dans une maison pour qui l’élégance n’est pas un accessoire, mais une raison d’être. Le maître d’hôtel nous installe en terrasse. Nous découvrons alors l’un des atouts majeurs de l’endroit : une sorte d’oasis de calme et de fraîcheur au cœur d’un quartier très urbanisé d’Uccle. Champagne ou gin tonic, par cette chaude soirée de printemps, tout est bon pour nous rafraîchir avant la dégustation.
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Quelques mises en bouche viennent accompagner cette séance d’hydratation apéritive. Ces dernières portent décidément bien leur nom et dévoilent, déjà, un aperçu de la signature du chef : une cuisine entre tradition et modernité, sans exubérances tapageuses, mais parfaitement maîtrisée, avec des touches d’audaces pour réveiller les papilles.
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L’œuf mimosa, première pièce de ce menu en huit services, est un bel exemple de revisite d’un plat iconique des brasseries françaises. Si son dressage sème le doute, en bouche, ce dernier n’est plus permis. C’est absolument crémeux et onctueux. Les quelques grains de caviar qui l’accompagnent offrent leur salinité et leur souplesse à une assiette qui continue de donner l’eau à la bouche.
Après un classique de la cuisine française, vient un plat aux accents nettement plus asiatiques : un carpaccio de thon rouge. La tendreté de la chair du poisson et la précision de la découpe nous auraient permis de le découper à la petite cuillère. La sucrosité du sorbet à l’abricot et les touches de curry – en gelée ou en meringue – terminent d’assaisonner une assiette délicate. Le chef prolonge ses inspirations asiatiques avec une langoustine – certes Bretonne – mais accompagnée d’une sauce et d’un condiment thaï qui ne souffrent d’aucune discussion, ni sur les goûts, ni dans l’exécution.
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Retour en France pour le quatrième service : une raviole de foie gras. Un léger capuccino de truffes vient jouer la partition des arômes tertiaires (sous-bois, cuire, tabac) qui convient bien à la noble pièce de volaille, mais nous retenons surtout l’utilisation de la framboise (en coulis et en gelée) qui vient emballer le tout d’une touche acidulée merveilleuse, en contrepoint idéal au gras du foie.
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Les deux plats principaux, dos de cabillaud royal rôti et magret hapicius, sont résolument plus classiques tout en restant très savoureux. La cuisson du canard ne prêtant le flanc à aucune critique, alors que nous suspectons, ce soir-là, une légère sur-cuisson du cabillaud, mais pas de quoi entacher l’excellente impression générale. L’audace fait son retour avec le fromage. Puissant et racé, le Saint-Marcellin (petit fromage à base de lait de vache, à pâte molle à croûte fleurie) choisi par le chef est un choix fort, juste avant le dessert. Il arrive joliment décoré de fines lamelles de truffes, mais ces dernières n’ont malheureusement pas voix au chapitre dans cette assiette vraiment dominée par le fromage. C’est un peu dommage puisqu’elles embourgeoisent inutilement un plat qui n’en avait pas besoin.
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On se réconcilie avec le dessert, très gourmand sans être écoeurant et qui équilibre très justement les saveurs sucrées, amères et acides. Un vrai dessert de chef, signé par un vrai chef !
Le menu est accompagné des vins spécialement sélectionnés par le sommelier pour chacune des assiettes. Les choix sont chaque fois pertinents et même s’ils jouent plus volontiers la prudence que le culot, ce n’est finalement pas plus mal et s’accorde même plutôt bien avec le style de la maison.
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Finalement, alors que nous reposons notre dernière cuillère sur la belle assiette blanche du dessert en nous repassant le film de la soirée, nous nous étonnons de ne pas voir le Brugmann mieux récompensé par les deux plus célèbres guides culinaires. Ne mérite-t-il pas mieux, ce Brugmann du chef Matthias Van Enoo ?
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En réfléchissant un peu, il y a peut être une petite chose qui sépare le Brugmann des grands des très grands : le service. Absolument sympathique et avenant, il n’a pas toujours eu ce soir-là, ni à notre table, ni à celle de nos voisins, la rigueur (certes parfois rigides) et la précision que l’on attend des restaurants très côtés. Le rythme, d’abord trop rapide, puis un peu lent, auquel on vient retirer les assiettes, les plats ou les vins qui n’arrivent pas dans l’ordre annoncé… ce sont ces petites choses qui font finalement la différence. Mais est-ce si important ? Parce qu’en tout état de cause, le rapport qualité/prix de ce menu estival est juste ébouriffant : 128€ pour 8 services (sans compter les mises en bouche) de cette qualité (on y retrouve tout de même des produits comme le thon rouge, le foie gras, du caviar, de la truffe…), c’est simplement épatant. Alors, dans ces conditions, s’il manque peut être une petite marche encore pour jouer la course aux étoiles, ce n’est sans doute pas si grave, tant le moment vécu fut agréable. Alors, pourvu que l’été soit long !
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