Martin Boonen
05 May 2022
Eventail.be – Etienne Bouillon, rassurez-nous, cette nouvelle bouteille, ce n’est que du packaging, la recette, elle, ne change pas ?
Etienne Bouillon – Non, non, absolument pas. Mais vous savez, de toute façon, la recette est exceptionnellement simple. Nous n’utilisons que deux ingrédients : de l’orge et de l’eau. Mais ces deux ingrédients proviennent d’un terroir exceptionnel : celui de la Hesbaye sèche, formée au crétacé secondaire. L’eau vient d’une nappe phréatique enfuie à 40 mètres sous-terre. L’orge est cultivée dans la même zone géographique sur environ 400 ha par 29 agriculteurs.
Etienne Bouillon © Jenny Kiss
– Il y a en Belgique et en Wallonie, des tas de spiritueux traditionnels et locaux, comme le genièvre, dans la région de Liège où votre distillerie est installée. Pourquoi avoir choisi de faire du whisky ?
– Quand j’ai imaginé mon projet, je voulais d’abord valoriser le terroir et les produits de l’agriculture belge. Il se trouve que le terroir hesbignon (en particulier celui de la Hesbaye sèche où nous nous trouvons) est peut-être l’un des trois meilleurs endroits au monde pour produire du whisky ! Après avoir suivi un compagnonnage de 10 ans avec Jim McEwan (responsable de la distillerie Bruichladdich, sur l’île d’Yslay, l’un des grands gourous du whisky écossais, ndlr), j’étais prêt à me lancer.
L'orge hesbignon, l'un des deux seuls ingrédients qui compose le whisky Belgian Owl © Jenny Kiss
– Que vous manquait-il ?
– Pendant mon compagnonnage, j’avais bien saisi toute l’importance de la qualité d’un alambic pour produire un excellent whisky. Il existe bien sûr partout des alambics de toutes sortes, mais pour faire du whisky, rien ne vaut un véritable alambic écossais. Faire du whisky dans des alambics historiques pour lesquels tant et tant de distillateurs écossais se sont levés tôt pour faire du whisky a une grande valeur. Peut-être que cette valeur n’est que sentimentale, mais elle reste très importante pour moi. C’est une histoire d’émotion, et ça n’est pas à galvauder. Mais si l’Écosse fabrique et exporte des alambics neufs, elle garde jalousement ses alambics historiques sur son territoire. Jim McEwan m’avait prévenu qu’il serait impossible de faire venir en Belgique l’un de ces alambics…
© Jenny Kiss
© Jenny Kiss
– Vous y êtes cependant parvenu !
– Cinq ans après la fin de mon compagnonnage, Jim m’a appelé pour me dire que deux alambics de chez Caperdonich (légendaire distillerie de la région du Speyside, maintenant disparue, ndlr) étaient disponibles. Il était prêt à marquer son accord pour les envoyer en Belgique. C’était un privilège exceptionnel. C’est, à ma connaissance, les seuls alambics historiques en fonction en dehors de l’Écosse. C’est une chance extraordinaire pour The Owl de travailler sur des alambics qui ont une telle âme, une telle histoire. C’est un peu comme, pour un amateur de voiture de collection, rouler en Bugatti ou en Ferrari.
Etienne Bouillon au travail, avec l'un des alambics historiques de la distillerie Caperdonich
– Vous aviez donc les alambics et les ingrédients sous la main. Vous pouviez vous lancer !
– Oui et non. Le terroir, seul, ne fait rien. Il faut des hommes pour le travailler, et le travailler de manière durable, pour qu’on puisse continuer pendant longtemps à faire du single malt de grande qualité dans cette région. C’est pourquoi nous voulons mettre en avant les produits de ce terroir, mais aussi les hommes qui l’exploitent. Nous rémunérons les agriculteurs avec qui nous travaillons, 35% de plus que ce que propose le marché boursier international. Certains de nos partenaires travaillent sur cette terre depuis plus de sept générations.
© Jenny Kiss
– Belgian Owl a acquis, dans le petit microcosme du whisky mondial, une grande réputation. Il était temps désormais de convaincre aussi les marchés commerciaux à l’étranger ?
– Nous avons, en 10 ans, été sacré à trois reprises meilleur whisky européen par la Whisky Bible de Jim Murray (l’ouvrage de référence sur la question, ndlr). Cette année, nous venons de recevoir, pour la 14e année consécutive, la Grand Gold Quality Award à Monde sélection. Rendez-vous compte : si nos Diables Rouges gagnaient un prix équivalent en football, on ferait la fête sur la Grand Place pendant 2 mois (rires) ! C’est exceptionnel. Cela dit, c’est bien de créer un excellent produit, mais il faut aussi le promouvoir et le vendre. C’est pourquoi nous avons créé, dans ce but, une nouvelle société, Dexowl, qui est chargée de l’export à l’étranger.
– D’où cette nouvelle bouteille ?
– Nous avons voulu faire correspondre notre image à nos valeurs. Notre symbole, c’est le hibou, qui représente le savoir et la sagesse. Cette nouvelle bouteille se pare des plumes du hibou et affiche les cinq symboles qui nous caractérisent : le hibou, l’eau, l’orge, les alambics et les fûts…
– Cette stratégie à l’export va donc s’accompagner d’une hausse de la production ?
– Les toutes premières années, la demande était bien plus élevée que ce que nous avions prévu et nous n’arrivions pas à suivre. De 500 litres au départ, nous sommes déjà passés avec les alambics Caperdonich à 11000 et 8000 litres. Ce que je produisais en un mois avec les précédents alambics, je peux le faire en une journée désormais. L’objectif, c’est désormais au minimum 600.000 bouteilles de Belgian Owl par an. En termes d’approvisionnement en eau et en orge, nous avons toutes les garanties nécessaires pour augmenter sensiblement notre production. On devrait donc moins faire souffrir la demande.
© DR
– La mode, dans le monde du whisky, est aux finitions dans des fûts exotiques, les fameux « cask finish ». Vous ne vous y êtes pas encore vraiment frotté ?
– Nous utilisons du first fill bourbon cask, des fûts ayant précédemment contenu du bourbon que nous utilisons en second remplissage (comme une large majorité de distilleries d’ailleurs. Le bourbon devant être élevé obligatoirement dans des fûts neufs, les distilleries récupèrent facilement et à des prix avantageux des fûts de bourbon usagés, ndlr). Bien sûr, tous les distillateurs sont intéressés par des expériences dans différents fûts, mais puisque soixante pour cent du goût du whisky provient des fûts, il faut donc les choisir avec une grande précaution. Après tout, le spiritueux issu de la distillation va y passer au moins trois ans (période minimum autorisée en Europe pour pouvoir bénéficier de l’appellation whisky, ndlr), parfois même beaucoup plus… donc forcément, cela influencera grandement son caractère. Aussi, avant de faire des finitions, je voulais rencontrer les meilleurs tonneliers qui soit. J’ai rencontré un tonnelier d’exception en Espagne avec qui nous partagions la même exigence et la même vision d’excellence. Nous venons d’ailleurs d’embouteiller une petite série (2500 bouteilles) vieillie dans des fûts de chêne espagnols ayant précédemment contenu du sherry (un vin espagnol vendangé en surmaturation, ce qui donne des vins soyeux, assez doux et alcoolisés, ndlr), issu du cépage pedro ximenez. Comme cette expérience a rencontré un succès immédiat, elle sera suivie très certainement par d’autres séries limitées. À propos d’innovation, nous venons de terminer une série thématique hors du commun : « Chocolat ». C’est aussi un petit clin d’œil subtil que nous adressons à la clientèle féminine qui représente près d’un tiers de nos fans. C’est dire comme nous pouvons être heureux…
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