Sylvie Dejardin
06 September 2022
Christophe Brusset, ingénieur agro-alimentaire, a travaillé pendant plus de vingt ans dans l’industrie qui nous nourrit. Auteur du best-seller Vous êtes fou d’avaler ça, il s’est penché sur le bio avec son dernier livre Les Imposteurs du bio et nous explique de façon détaillée où le bât blesse.
L’Éventail – Dans votre dernier opus, vous mettez en lumière les dérives du bio. Qu’est-ce qui, d’après-vous, est dissonant, voire trompeur dans cette appellation ?
Christophe Brusset – Les produits bio doivent répondre à une directive européenne définie par les vingt-sept états membres : pas de pesticides ou d’engrais de synthèse, les OGM et les rayons ionisants sont proscrits, certains additifs sont interdits, etc. Mais ceci représente le minimum syndical, car bien d’autres critères tout aussi importants devraient aussi en faire partie : le bilan carbone, les cultures sous serre, souvent chauffées aux énergies fossiles, l’exploitation humaine, le bien-être animal, la saisonnalité, la provenance… Ces questions relatives à l’éthique sont actuellement exclues par tout un pan de la filière. L’usage des engrais de synthèse dans le bio représente aussi l’une des plus grandes fraudes. Vous ne pourrez pas faire la différence entre un produit conventionnel et un produit bio, car leur présence est indétectable aujourd’hui.
– Vous trouvez également une kyrielle de produits ultra-transformés qui ne présentent rien de sain comme des sodas, des glaces, des pâtes à tartiner… La malbouffe a donc aussi envahi les rayons bio. Plus chère, elle est pourtant tout aussi délétère que le conventionnel pour la santé.
– Avoir un label AB ou Eurofeuille est un pré-requis obligatoire pour être certifié bio, mais n’est largement pas suffisant. Ici, le bio a raté quelque chose en excluant des normes ces aspects essentiels. Le cahier des charges est à mon sens beaucoup trop léger. D’autres labels privés, en marge des labels officiels obligatoires, vont plus loin dans la réflexion, comme Demeter ou Biocohérence. Leur niveau d’exigence est bien supérieur. Ils proposent donc du bio de bien meilleure qualité. Biocoop, première coopérative française qui vend des produits bio, locaux, de saison, aussi issus du commerce équitable, permet d’acheter en toute confiance, puisque la charte est bien plus stricte. Une source d’inspiration pour le secteur.
– Le consommateur doit être attentif à la provenance des produits qu’il achète. Quels sont les pays qui devraient éveiller la méfiance ? Pourquoi ?
– En effet, il est toujours intéressant de vérifier l’origine de ses achats. Le bio industriel produit sous serre et vendu en Europe provient en grande partie d’Espagne. C’est aussi dans ce pays que vous trouverez la mer de plastique, un désert écologique sans précédent qui s’étend sur des milliers d’hectares. Outre l’exploitation de travailleurs sous-payés, les nappes phréatiques sont pompées au maxi-mum. Actuellement, les forages se font à plus de 900 mètres pour permettre d’arroser la région la plus aride du pays. L’eau de mer s’y infiltre et se mélange à l’eau douce. À ce rythme-là, dans quelques années, les sols deviendront complètement stériles. Contrairement au Nord de l’Italie très industrialisée, le Sud de l’Italie fait régulièrement appel à la main d’œuvre illégale pour garder des prix compétitifs, notamment dans la récolte manuelle des tomates. Je conseille vivement d’éviter les produits en provenance de Chine, pays qui fait face aux mêmes problèmes. Beaucoup de professionnels n’ont pas une conscience écologique très développée. Entre profit et planète, le choix est vite fait.
– D’après vous, qui serait le plus responsable de ses choix dans toute la filière ? La grande distribution, les grossistes, les agriculteurs, les autorités ou le consommateur final ?
– Faire confiance aux industriels est une utopie d’après moi. La très grande majorité des entreprises a pour vocation le profit. Les autorités devraient jouer un rôle, car ce sont elles qui établissent les normes et définissent le cadre dans lequel les entreprises évoluent. Il ne faut pas oublier que l’Europe a été conçue pour assurer à la population le bien-être et le développement économique, donc la promotion des marchés. Mettre des barrières douanières ou réglementaires pour interdire l’importation de produits issus de pays qui ne respectent pas les minimaux sociaux, ne verra pas le jour en Europe de sitôt. Il reste donc le consommateur qui fera ses choix en fonction de ses moyens financiers. L’informer via les différents médias pourra orienter à la fois sa réflexion et son acte d’achat. Ne vote-t-on pas avec son caddie ? Leurs choix amèneront les professionnels du secteur à revoir les besoins et les exigences du consommateur et à s’y adapter. Manger bio, c’est bon pour la santé. En y ajoutant la composante éthique et environnementale, c’est encore mieux pour l’homme et pour la planète.
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