Martin Boonen
05 April 2024
Le réchauffement climatique à cette conséquence immédiatement observable de redessiner la carte des vignobles dans le monde. C’est que le vin, c’est intimement une histoire de terroir, en ce compris, le climat. Si celui-ci évolue, les vins évoluent avec lui. Si les vignobles historiques (Champagne, Bordeaux, Côtes-du-Rhônes) luttent pour sauvegarder leur typicité et adaptent leur mode de culture, ailleurs de nouveaux vignobles voient carrément le jour. Il n’y a qu’à se balader dans nos vertes campagnes du Brabant wallon, du Hainaut, de Namur ou de Liège pour s’en apercevoir : les domaines viticoles poussent comme des champignons après la pluie. En Belgique, la production croît donc rapidement, en volume comme en qualité. Et si jusqu’à présent les vins effervescents étaient la seule chose de buvable que notre petit royaume se permettait de mettre en bouteilles, désormais les vins tranquilles, blancs comme rouges, font preuve d’une qualité incontestable et reconnue. Le cas de la Belgique est intéressant parce qu’il préfigure sans doute ce qui attend la viticulture anglaise.
D’abord il faut se rappeler qu’avant d’être de grands amateurs de vin (notamment grâce aux liens territoriaux et commerciaux qui unissaient l’île britannique à l’Aquitaine et donc aux vins de Bordeaux, ou à ceux de Porto), l’Angleterre a eu un passé viticole lointain. Comme partout ils se sont installés, ce sont les romains qui ont apporté la vigne sur Albion. On retrouve des traces d’une viticulture bien installée en Angleterre jusqu’à l’époque normande. L’importation massive des vins français (les fameux french clarets dont raffolent alors les Anglais) au XVe siècle sonne le glas de cette culture outre-manche. Elle renaît de ses cendres il y a une cinquantaine d’année sous l’impulsion de passionnés, amateurs un peu dingues, convaincus que “la viticulture anglaise puisse s’imposer dans la production de vins blancs fins” comme l’écrit l’un des pères de la néo-viticulture anglaise Edward Hyams. Mais pourquoi ces pionniers, comme Ray Barrington Brock, y croient-ils tant ? Bien sûr, pour des questions de réchauffement climatique que nous avons déjà évoquées. L’évolution du climat profite évidemment à une culture de la vigne de plus en plus septentrionale. Mais ce n’est pas tout.
Au temps où l'Aquitaine était anglaise, l'import massif de vins français depuis le port de Bordeaux, fit beaucoup de tort à la viticulture anglaise © DR/Shutterstock.com
Là encore, on observe des similitudes avec le nouveau vignoble belge. Ce dernier s’est d’abord fait repérer par la remarquable qualité de ses vins effervescents. Deux domaines ont particulièrement contribué à mettre le vin belge sur la carte : le domaine des Agaises, avec son célèbre Rufus, l’un des premiers vignobles professionnels de l’ère moderne, et Chant d’Eole. Outre leur qualité, ces deux domaines ont un point commun : ils ne sont séparés que d’une dizaine de kilomètres, étant situés tous les deux au sud de Mons, dans le Hainaut. Mais comment un si petit territoire à pu faire émerger deux si grands domaines ? La réponse tient en quelques mots : la qualité de son terroir. Et plus précisément celle d’une certaine faille calcaire qui trouve son origine… en Champagne, berceau et capitale des vins effervescents.
La vigne éclot partout dans la campagne du sud de l'Angleterre, comme ici, dans le Sussex © DR/Shutterstock.com
Cette faille calcaire auxquelles les plus belles caves rémoises doivent leurs fabuleuses crayères, classées aux patrimoines mondiales de l’UNESCO, se prolonge donc d’une part en Hainaut, et d’autre part… vous nous avez vu venir… dans le sud de l’Angleterre. Sols et climat : les ingrédients de la recette magique pour des grands vins étaient donc réunis. Le talent des hommes n’avait plus qu’à faire le reste.
D’ailleurs, ils sont de plus en plus nombreux à ne plus s’y tromper. On dénombre désormais plus de 700 vignobles britanniques, répartis sur quelque 3 000 hectares. La situation devient si sérieuse que de grands noms du vin et même de la Champagne s’intéressent au sujet du vin anglais. C’est le cas de l’illustre maison Taittinger, qui, sous l’impulsion de Pierre-Emmanuel Taittinger achète, en 2015, 70 hectares de vignes dans le Kent pour y planter, deux ans plus tard les cépages les plus emblématiques de la Champagne : les pinots noir et meunier et du chardonnay. Le patron de la célèbre maison déclarait alors à la très respectée Revue des Vins de France “Nous pensons que nous pouvons produire un vin pétillant anglais de grande qualité en nous inspirant de notre expertise de 80 ans dans la production viticole. Nous but est de faire un vrai produit d’excellence dans un climat britannique de plus en plus tempéré, sans le comparer au champagne ou à tout autre vin mousseux.”
Pierre-Emmanuel Taittinger et Patrick McGrath dans les vignes anglaises du domaine Evremond. © Taittinger
Enthousiaste, certes, Pierre-Emmanuel Taittinger, en refusant toute comparaison future avec le champagne, ménageait l’idée de se lancer dans un produit qui pourrait à l’avenir potentiellement entrer en concurrence avec ceux de la maison mère, et, d’autres part, tempérer les attentes sur sa qualité. Les premières bouteilles du Domaine Evremond (c’est son nom) sont attendues pour cette année et nous essaierons de vous en reparler, même si se procurer une bouteille ne sera pas aisé puisque dans un premier temps la production sera destinée au marché indigène.
Mais avant donc de pouvoir se prononcer sur la qualité du “crémant du Kent” made in Taittinger, il en est un autre dont nous avons pu nous faire une idée. Et s’il n’appartient pas à un groupe de l’aristocratie vinicole mondiale comme Taittinger, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne manque pas de lettres de noblesse non plus. Windsor Castle est en effet produit, excusez du peu, par le Crown Estate qui gère le portefeuille des actifs associés à la Couronne britannique. Autrement dit : un royal pinard, le vin du Roi. Ou plutôt de la Reine. Puisque Windsor Great Park Vineyard est un projet qui remonte au jubilé de diamant des 60 ans de règne d’Elizabeth II de 2013. L’idée était de produire des bulles anglaises pour célébrer comme il se doit l’événement. Pour ce faire, on retrouve la trace, dans le parc de Windsor, d’un ancien vignoble du temps d’Henri II (le mari d’une certaine… Aliénor d’Aquitaine, tiens, tiens…).
Les vignes du domaine de Windsor © DR
© DR/Shutterstock.com
Un laboratoire champenois rend une analyse concluante d’échantillons du sol de la parcelle désignée, la conduite du domaine est confiée à Laithwaite’s et la vinification à Ridgeview, sous l’œil attentif du duc d’Edimbourg en personne. Seize mille sept cents pieds de chardonnay, pinot noir et pinot meunier sont alors planté sur les 4 hectares du nouveau domaine. Les 2 000 bouteilles du premier millésime (2013, donc) de ce “Liz’s Fizz” (comme l’avait immédiatement surnommé le Dailly Mail) partent en un rien de temps. Aujourd’hui, la production annuelle culmine à 20 000 bouteilles qui s’écoulent royalement et principalement au Royaume-Uni (notons qu’un seul importateur vous permet de vous en procurer en Belgique : Start2Taste).
Si le pédigrée est incontestable, le ramage se rapporte-t-il à ce plumage ? Nous avons eu l’occasion de déguster le millésime 2016 de ce Windsor Great Park Vineyard. Une cuvée millésimée, certes, mais avec des productions si confidentielles qui s’écoulent chaque année dans leur intégralité, difficile de garder des vins de réserves pour des assemblages futurs comme cela se fait en Champagne. Chaque production est donc, par défaut, millésimée.
© DR
L’élégant packaging et la belle bouteille ne tournent pas autour du pot et singent, avec beaucoup de réussite, tous les codes des champagnes de luxe. Seul le vocabulaire anglais sur l’étiquette vient rappeler l’exotisme de ce vin. Dans le verre, les très fines bulles exécutent leur ballet avec une remarquable régularité. La robe dorée, légèrement cuivrée, avec des reflets de paille, met tout de suite en appétit. À l’œil, ce Windsor Great Park Vineyard 2016 à l’air à la fois gourmand et très distingué. Une impression visuel confirmée au nez : des fruits blancs, comme il se doit, mais la fraîcheur de pomme vient s’y ajouter. Au palais, une couche de complexité supplémentaire et de gourmandise viennent agréablement créer la surprise.. On retrouve les fruits blancs, bien sûr, et la pomme s’exprime par un fraiche rondeur et du croquant. Mais ce qui frappe, ce sont ces notes riches et rondes de brioche et de pain toasté que l’on attendait pas sur un vin effervescent de ce genre.
© MB
Avec son acidité parfaitement maîtrisée et un sens de l’équilibre impressionnant, à l’évidence, ce Windsor Great Park Vineyard 2016 fait beaucoup mieux que de nombreuses cuvées BSA (brut sans année, ndlr) de maisons réputées en Champagne. Il fait des merveilles à l’apéritif et en entrée avec un foie gras bien assaisonné par exemple. Il se tiendra très bien à table avec de la volaille aux champignons et accompagnera avec délice à peu près tous les desserts.
Décidément, ce vin d’ascendance royale joue dans la Cour des grands. Si nous ne saurons jamais ce que Lennon pense du rock français contemporain, nous avons désormais une meilleure idée de ce que valent aujourd’hui, les vins anglais.
Photo de couverture : © Happy Wine.com
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